Société d'Histoire Nord-Africaine

À la recherche des Garamantes, délimitations du royaume

Par Y. Benaïssa, (Septembre 2025)

Mots clés : Royaume des Garamantes, Peuple berbère du Fezzan, Empire saharien antique, Frontières du royaume Garamante

Plan

Noyau du royaume Garamante
Frontière Nord du royaume Garamante
Frontière Nord-Ouest du royaume Garamante
Frontière Sud-Ouest du royaume Garamante.
Frontière Sud du royaume Garamante.
Frontière Est du royaume Garamante.
Discussion et conclusion

Texte intégral

Peuple berbère du Fezzan (Libye), les Garamantes ont bâti un royaume dont la durée est estimée à 1167 ans (allant approximativement de 500 ans avant notre ère jusqu’à sa chute face aux omeyyades en 667). Malgré cette durée remarquable et l’impact majeur de cet État dans la région, l’histoire des Garamantes demeure obscure. Les fouilles archéologiques étant peu nombreuses en Libye et dans le Sahara, les informations dont on dispose sur les Garamantes proviennent en grande partie des sources gréco-latines de l’antiquité. En outre, nous ne sommes pas en mesure de fournir l’identité d’un seul souverain ou chef de guerre Garamante malgré presque 12 siècles d’existence du royaume. Aussi, la délimitation du royaume demeure floue. Sur la plupart des cartes renseignant l’étendu des États antiques, le royaume des Garamantes est inexistant. Dans le meilleur des cas, le nom “Garamantes” est inscrit dans le Fezzan sans être associé à un État ou à une délimitation. 

Nous essayons dans cet article d’éclaircir l’étendue du royaume Garamante et d’en fournir une carte. Pour cela, nous avons identifié les lieux mentionnés comme étant sous contrôle des Garamantes et nous avons estimé leur coordonnées GPS. Cette reconstitution s’inscrit dans une série de travaux visant à élucider l’histoire des Garamantes, encore largement méconnue.

Figure 1 : Ruine de Germa (Fezzan), capitale Garamante.¹

Noyau du royaume Garamante.

La capitale des Garamantes, Germa (aussi appelée Garama ou Jerma), a été fondée au 9ème siècle avant notre ère par ces derniers. C’est autour de cette cité que les Garamantes ont organisé leur royaume à partir de -500.¹ La superficie du territoire sous domination Garamante était de 300 000 Km2 selon David Mattingly de l’université de Leicester en 2001.² Ainsi, nous pouvons qualifier la surface de 300 000 Km2 autour de la capitale comme étant le “noyau” du royaume. Cette zone correspond au territoire d’établissement des Garamantes et le royaume en est originaire. 

Cependant, la littérature scientifique renseigne plusieurs positions ayant été sous domination Garamante. Ces lieux sont bien trop éloignés de Germa pour résumer la superficie du royaume à 300 000 Km2. De plus, ces points ne sont pas identifiés comme des foyers Garamantes contrairement au Fezzan. Il s’agit alors de lieux situés en dehors de la zone de peuplement Garamante, sur lesquels ces derniers ont exercé une autorité.

Figure 2 : Localisation de la capitale Garamante (Germa) et délimitation du noyau du royaume en rouge.

Frontière Nord du royaume Garamante

C’est à travers les écrits d’Hérodote (IV, 183) que nous pouvons estimer la limite Nord du domaine Garamante. 

“A dix autres journées du territoire d’Augiles, on rencontre une autre colline de sel avec de l’eau, et une grande quantité de palmiers portant du fruit, comme dans les autres endroits dont on vient de parler. Les Garamantes, nation fort nombreuse, habitent ce pays.”

Hérodote (IV, 183)

Selon Hérodote, l’entrée dans le royaume des Garamantes se fait par un point situé à 10 jours à l’Ouest de Awijila (ici “Augiles”) en Libye³,. En partant du principe qu’un jour de déplacement correspond à 35 Km, on comprend que les grecs arrivaient dans le royaume Garamante par le Nord via un lieu situé 350 Km à l’Ouest d’Awijila. Ce point se situe alors à approximativement 29,06 degrés au Nord et 17,68 degrés à l’Est.

Frontière Nord-Ouest du royaume Garamante

Selon Ptolémée (IV, 6, 5, p. 742) le domaine des Garamantes s’étend jusqu’aux sources du Bagradas, rivière aussi connue sous le nom de Medjerda qui traverse le Nord tunisien et le Nord-Est algérien. Les sources du Bagradas correspondent possiblement à oued Meskiana dans le Nord-Est algérien. La source du fleuve se situe aux environs des coordonnées suivantes : 35,617856 degrés au Nord et 7,651450 à l’Est.

Frontière Sud-Ouest du royaume Garamante

Le Kaouar est un ensemble d’oasis situé dans l’Est du Sahara nigérien. Cette zone a probablement été occupée par les Garamantes comme le laisse penser l’échange entre les omeyyades et les Garamantes lorsque ces derniers les guidaient dans le Sahara.

Le village de Tchougoy, situé à proximité de l’oasis principal du Kaouar, semble être un bon repère pour placer la limite du domaine Garamante. Ce village est d’une latitude de 19.3036966 et d’une longitude de 12.8867059.

Figure 3 : Carte du Kaouar au Niger.

Frontière Sud du royaume Garamante

Nous disposons d’un récit de Ptolémée basé sur celui écrit par Marinus de Tyr entre 107 et 115 après J.-C. Ce récit mentionne une expédition menée par Suellius Flaccus aidé des Garamantes à travers le Sahara. On y apprend qu’entre les années 83 et 92 après J.-C., le roi des Garamantes déclare que les habitants d’Agisymba sont ses sujets. La datation de cette expédition pourrait se situer entre 85 et 87.

Quant à la localisation d’Agisymba, elle demeure incertaine. Nous savons néanmoins que ses habitants étaient des subsahariens. Une position possible d’Agisymba serait quelque part entre le Sahara nigérien, le lac Tchad et la région des toubous.¹⁰ Notons également que selon David Mattingly, Agisymba pourrait être le lac Tchad.² 

Il est raisonnable de placer la limite Sud à une Latitude de 15.5 et à une longitude de 15.5 également. Cet emplacement se trouve plus au Nord que le lac Tchad. Nous cherchons ainsi à éviter de surestimer la taille du royaume.

Frontière Est du royaume Garamante

La frontière Est est probablement la plus délicate à situer avec précision. Le lac Nouba est qualifié comme étant le point le plus à l’Est du royaume. La difficulté est alors de localiser ce lac. 

Ptolémée situe le peuple des noubae aux abords occidentaux des Gorges garamantiques qu’il place à une dizaine de degrés seulement à l’ouest de la vallée du Nil.¹¹ Enfin, il mentionne un lac Nouba à la même longitude que les Gorges, mais qui serait situé plus au nord. Ces informations nous permettent de déduire la position du lac Nouba. La vallée du Nil étant aux environs de 30 degrés à l’Est, les gorges garamantiques sont alors situées à 20 degrés Est. Donc le lac Nouba, qui partage la même longitude que les gorges, serait aussi à environ 20° Est. Concernant la latitude, le texte ne donne pas de valeur précise. Il indique seulement que le lac Nouba est « plus au nord » que les Gorges garamantiques. Une autre information dont on dispose sur les noubae est que Ptolémée ne les qualifie pas d’Ethiopiens. Partant de ce fait, nous pouvons exclure une position du lac Nouba dans la région des toubous. Placer le lac Nouba à la même latitude que la capitale (Germa) semble cohérent et non risqué si l’on ne veut pas surestimer la taille du royaume. Ainsi, nous pouvons estimer la position du lac Nouba à 20 degrés Est et 26,5 degrés Nord. 

Discussion et conclusion

En reliant les points identifiés, nous sommes parvenus à dresser une carte du royaume Garamante. Il est cependant important de prendre du recul sur la carte que nous avons tracée. 

Figure 4 : Carte de l’empire Garamante (de -500 à 667). Le cercle rouge délimite le foyer de peuplement Garamante et le polygone orange indique l’ensemble des lieux identifiés comme ayant déjà fait partie de l’empire.

Premièrement, les positions géographiques du lac Nouba et d’Agisymba sont incertaines.

Les frontières de l’empire identifiées ne proviennent pas de sources d’une seule et même époque. Il est donc possible que tous ces territoires aient fait partie de l’empire Garamante à un moment donné, mais pas nécessairement en même temps. Par exemple, le contrôle du Bagradas par les Garamantes mentionné par Ptolémée (IV, 6, 5, p. 742) ne peut être que antérieure au contrôle rommain de cette région. Cela implique que l’empire Garamante tel que représenté ici n’a peut-être jamais existé. 

Il se peut aussi que l’empire Garamante ne possédait  pas de frontières précises. Il s’agirait alors d’un territoire approximatif sur lequel les Garamantes exerçaient leur hégémonie. Cela est d’autant plus plausible lorsque l’on connaît le mode de vie (chasseurs d’esclaves et commerçants) des Garamantes.

 Enfin, il est tout à fait possible que l’empire s’étendait au-delà de ce territoire. Nous n’avons utilisé ici que les délimitations pour lesquelles nous avons des traces écrites. Nous n’avons ainsi pas indiqué la frontière du Sud-Est ou du Nord-Est par exemple. Concernant les frontières sahariennes et sahéliennes, rien ne nous indique que l’empire Garamante ne s’est jamais étendu au-delà des zones identifiées. 

A travers notre documentation, nous sommes parvenus à éclaircir l’étendue du royaume Garamante. Ce dernier peut largement être qualifié d’empire de par sa taille, la pluralité éthnique de ses habitants et sa force militaire lui assurant une indépendance totale des autres Etats. Nous reviendrons sur ce dernier point dans de futurs travaux pour élucider les interactions qu’ont eu les Garamantes avec d’autres peuples et leur influence dans la région.

Pour citer cet article

Y. Benaïssa, « À la recherche des Garamantes, délimitations du royaume », Société d’Histoire Nord-Africaine (SHNA), 2025

Bibliographie

  1. Werner L., Libya’s Forgotten Desert Kingdom, photographies de Savage T., Saudi Aramco World, vol. 55, no 3 (mai–juin 2004), p. 8–13.
  2. Mattingly D., Nouveaux aperçus sur les Garamantes : un État saharien ?, Antiquités africaines, t. 37, 2001, p. 52.
  3. Hérodote, Histoires, livre IV (Melpomène), §183, trad. Larcher, Paris, Charpentier, 1850.
  4. Bates O., The Eastern Libyans: An Essay, Macmillan, 1914, p. 53.
  5. Desanges J., « Garamantes », Encyclopédie berbère [En ligne], 19 | 1998, document G12, p. 2969-2971.
  6. Zidi A., Ahmed M., Mourad S. M., Zaidi K., The assessment of the physicochemical quality of water intended for irrigation of Oued Méskiana (Oum El Bouaghi) Algeria, Acta Scientifica Naturalis, t. 6 n° 2 (déc. 2019), p. 110-122.
  7. L’influence des Garamantes », Ingall-Niger.org, [en ligne], s.d.
  8. Oasis du Kawar, Service d’information sur les Sites Ramsar (RSIS), site n° 1495, Niger, 16 septembre 2005 [En ligne].
  9. Desanges J., Note sur la datation de l’expédition de Julius Maternus au pays d’“Agisymba”, Latomus, t. 23, fasc. 4 (oct.-déc. 1964), p. 713-725.
  10. J. Desanges, « Agisymba », Encyclopédie berbère, 2 | 1985, 259-261.
  11. Jehan Desanges, « Noubae », Encyclopédie berbère, 34 | 2012, 5621.